Charles Baudelaire, Agathe Melinand, Laurent Pelly, l’Atelier Volant. Traduction, adaptation, mise en scène, interprétation. Quand les co-directeurs et la structure de professionnalisation des jeunes acteurs du TNT adaptent les Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe, tout le pari de la théâtralisation de ces écrits – qui n’étaient pas destinés à la scène – tient dans cette délicate équation entre le texte et son incarnation, la suggestion et le signifiant, le narratif et le kaléidoscopique. Comment réussir à contenir l’esprit de plus de 500 pages en une forme d’une heure vingt sans le contredire ou le trahir ? Le spectacle réussit pourtant cette gageure en faisant des choix qui seront sûrement diversement appréciés mais qui participent tous du respect de l’œuvre, son humour noir, son côté absurde, ses visions délirantes et ses terreurs obsessionnelles. Le décor y est pour beaucoup, qui installe tour à tour les ambiances et fait circuler le texte. Les portes s’ouvrent sur des visions cachées qui font hurler de terreur les comédiens : n’y-a-t-il pas peur plus incontrôlable que celle qui n’a pas de cause tangible ? Les panneaux coulissants s’ouvrent sur des visions sinistres – le trône du Roi Peste ! – , les éclairages délimitent des zones de lumière et d’ombres d’où peut surgir un démon cornu ou un spectre errant, l’ambiance sonore est anxiogène à souhait, selon une science du train fantôme qui provoque à la fois les cris d’effroi et les fous rires libérateurs. Nul doute, la mise en scène est extrêmement précise dans sa mécanique, ses effets de répétition et son minimalisme, composant des tableaux tour à tour étranges et mystérieux, grotesques et absurdes.
Parmi les nombreuses nouvelles écrites par Edgar Allan Poe, on en retrouve un peu plus d’une douzaine dans le spectacle, sous forme fragmentaire, parfois quelques lignes ou des extraits plus longs, jouées ou narrées en de longs monologues, morcelées façon puzzle. La question du choix -pourquoi La philosophie de l’ameublement plutôt que Le Chat Noir ou Le Scarabée d’or ? – étant admise, on entendra dire que ce survol de l’oeuvre a quelque chose de vain et de dérisoire, que la logique du récit propre à l’auteur est ici absente. Mais il faut avouer que même dépourvues de leur mécanique narrative, ces Histoires extraordinaires n’en demeurent pas moins d’une efficacité diabolique et redoutable, provoquant un effet de sidération profond chez le spectateur et faisant ressortir les récurrences de l’auteur de façon manifeste – la peur d’être enterré vivant, la mort de l’être cher, l’ivrognerie… -. Les jeunes acteurs de l’Atelier Volant, dont cette création constitue la fin de leur cycle de formation, disent le texte traduit par Baudelaire, la diversité de ses genres, avec plus ou moins de bonheur, l’interprétation étant assez inégale. Le rythme pâtit parfois de cette hétérogénéité de la distribution et d’une construction tournant à la paresse dans sa dernière partie, où s’enchainent Le portrait ovale, Silence et L’île de la fée qui font décroître l’intérêt. Heureusement, le dernier tableau conclut avantageusement la pièce dans un éclat de rire libérateur. Les fous sont sur scène et c’est tant mieux, nous pouvons donc retourner à la vie réelle avec son simulacre de normalité et nous réveiller d’un mauvais rêve dont on sait que certaines visions nous poursuivront encore après la pièce.
Edgar Allan Poe – Extraordinaires – Du 1er au 30 octobre au TNT puis en tournée
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