Métamorphose du corps, mutations de la chair, déshumanisation, désincarnation des personnages, autodestruction, culte des sociétés secrètes, névroses psychotiques, fantasmes morbides et sexe clinique : pas de doute, voici un programme qui décrit assez bien les obsessions du cinéma de David Cronenberg. Y compris dans sa filmographie la plus récente, sauf que ce cahier des charges obsessionnel qui se manifestait dans sa première période sous le genre de l’horreur et du fantastique a évolué dans la forme. Ses films, qui s’incarnaient dans le corps et la chair, ont muté vers un cinéma du verbe et des mots, moins immédiatement physique. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils soient moins passionnants, bien au contraire, le réalisateur semble avoir atteint une sorte de maturité qui lui permet toutes les audaces. Cette évolution est aussi synonyme de plus de respectabilité parmi les sphères critiques qui méprisent le cinéma de genre, tout en renforçant le gap entre les films dits d’auteurs ou de festivals et le cinéma bis gore et dégénéré. Ceux qui regrettent Frissons, Rage ou Chromosome 3 se consoleront sans doute avec Brandon Cronenberg – fils de – qui reprend à son compte avec Antiviral le logiciel cinématographique inventé par son père pour en donner une vision actualisée et toute personnelle.
On a plutôt une tendance naturelle à nous méfier des progénitures de réalisateurs célèbres qui passent aussi derrière la caméra. On attendait d’autant plus prudemment Antiviral que Brandon Cronenberg semblait vouloir prendre son premier bain cinématographique en réutilisant à son compte la quasi intégralité de la thématique paternelle sans coup férir. Une gémellité (tiens, un autre motif cronenbergien !) d’intentions qu’on pouvait interpréter de plusieurs façons : soit comme du courage, soit comme un manque d’inspiration, soit comme une trademark dont il serait commode de s’approprier le label. Pourtant, si les points communs sont nombreux et difficiles à ne pas repérer – on pense beaucoup à Videodrome –, Brandon Cronenberg impose un talent tout personnel qui ne doit rien à personne, en manifestant notamment une inventivité inouïe aussi bien formellement que dans le récit. En illustrant la starification dans ce qu’elle a de plus extrême, avec ces cliniques qui inoculent aux fans des virus prélevés sur leurs idoles afin de partager un petit bout d’intimité avec eux, il déroule une logique implacable qui n’est pas si éloignée de la réalité. Il va plus loin encore en imaginant des restaurants où il serait possible de manger de la viande produite à partir de cellules souches de célébrités. On ne pourrait pas mieux incarner le cannibalisme des sociétés dites civilisées quand il s’agit d’idolâtrie et de culte de la personnalité.
Brandon Cronenberg filme cette cérémonie anthropophage avec une froideur clinique, dans une ambiance déshumanisée aux blancs brûlés. Sa mise en scène est d’une précision chirurgicale, avec un sens du cadre et de la composition à proprement parler bluffants. Le sound design participe de cette ambiance mortifère et anxiogène, tout comme la performance de Caleb Landry Jones, vraie gueule de cinéma et révélation incontestable du film. L’acteur, claudiquant en appui sur sa canne, blafard, pousse la ressemblance avec le Nosferatu de Murnau de manière étonnante, vampire moderne se nourrissant des tares de notre société des media, de la consommation et du paraître. On assiste donc bel et bien à la naissance d’un cinéaste très important, doué d’un talent très rare et doté d’un discours et d’une réflexion d’une richesse passionnante. Brandon Cronenberg, plutôt que d’être comparé à son père, a décidé de dévorer tout un pan de sa cinématographie non pas pour la copier ou la réciter telle quelle, mais en la digérant afin d’en donner une version actualisée, nouvelle et inédite. Long live the new flesh !
Antiviral, sortie en salles le 20 février 2013
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